L’adoption du Bitcoin à El Salvador est-elle une révolution ?

L’adoption du Bitcoin à El Salvador est un moment fondateur
pour le Bitcoin mais surtout pour l’envoi des rémittences.
En début de semaine, El Salvador, une petite nation plutôt discrète d’Amérique centrale, a adopté le Bitcoin (BTC) comme monnaie officielle.
Selon la nouvelle loi, tout produit qui jusque là était vendu en dollar américain (USD) doit être vendu en Bitcoin. D’ailleurs, les commerçants ont l’obligation d’accepter le BTC comme moyen de paiement si un client souhaite régler ainsi (tant qu’il en ont la capacité technologique).
Nayib Bukele, le président du pays, informe le monde entier des achats de BTC par son gouvernement sur Twitter. A ce jour, El Salvador détient 550 Bitcoins.

Malheureusement, malgré l’euphorie dans la communauté des crypto enthousiastes, les débuts du BTC comme monnaie ont mal commencé :
- Le prix a chuté de près de 20%
- Apple et Huawei ne proposent pas Chivo, l’application officielle du gouvernement
- Chivo a été momentanément désactivé parce que la plateforme ne supportait pas la quantité d’inscriptions.
- Les sondages indiquent qu’une majorité du pays soit se méfie du Bitcoin, soit ne comprends pas comment il fonctionne, soit n’en veut pas.
Malgré ces difficultés très médiatisées, l’adoption du BTC est non seulement un acte fondateur pour le Bitcoin l’actif au sens large, mails c’est également une potentielle source d’amélioration de la qualité de vie de 70% des habitants d’El Salvador.
Plutôt que de parler du Bitcoin l’actif, c’est-à-dire la réserve de valeur et le moyen d’échange, nous allons plutôt parler du réseau Bitcoin et sa capacité de faciliter les échanges entre les habitants de pays différents.
Plus précisément, nous allons expliquer en quoi l’adoption du Bitcoin à El Salvador pourrait révolutionner l’envoi des rémittences.
Les rémittences
Les envois de fonds, communément appelées rémittences, correspondent à la part des revenus gagnés à l’étranger que les migrants rapatrient chez eux.
La Banque mondiale estime qu’en 2019, $719 milliards de rémittences ont été envoyés par des migrants vers leurs pays d’origine. En 2020, ce montant a chuté à $702 milliards à cause du COVID, mais on s’attend à ce qu’il augmente au fur et à mesure de la reprise économique mondiale.
Nul besoin de préciser que les rémittences sont une source de revenu importante pour les habitants qui les reçoivent.
Dans le 10 des pays receveur de rémittences, on trouve par exemple l’Inde, la Chine, le Mexique, les Philippines, le Pakistan, le Bangladesh ou encore le Nigeria.

Il est important de noter qu’une grande partie des rémittences mondiales sont émises depuis les Etats-Unis : environ ¼ des rémittences mondiales sont envoyées depuis les USA, donc en USD.

L’impact des rémittences
Selon le FMI, les rémittences sont très importantes pour les pays qui les reçoivent. En effet, elles permettent de développer la consommation et de créer de l’emploi.
En outre, les rémittences sont une source de revenu stables puisqu’elles ont tendance à augmenter chaque année, contrairement aux investissements privés ou à l’aide au développement, qui peuvent fluctuer.
Dans certains pays, les rémittences représentent un quart ou plus du PIB.

À l’El Salvador, $6 milliards sont transférés au pays depuis l’extérieur chaque année, soit environ 23% du PIB.
Les études révèlent que:
- 80-85% des immigrés d’El Salvador qui travaillent aux USA envoient de l’argent au pays.
- 70% des habitants du pays reçoivent des rémittences.
- Les rémittences représentent 50% du revenu des foyers qui les reçoivent.
- 1 foyer sur 20 dépend des rémittences pour survivre.
Clairement, les rémittences sont un sujet très sensible à El Salvador.
Le problème des rémittences
Le système traditionnel d’envoi des rémittences souffre de deux problèmes majeurs : le temps et l’argent.
Problème n°1 : Le temps
Envoyer de l’argent par Western Union ou Moneygram peut prendre beaucoup de temps.
Premièrement, il faut aller physiquement au bureau de change, faire la queue, et remplir des formulaire. Ensuite, le destinataire doit aussi aller au bureau, faire la queue, recevoir l’argent et rentrer chez lui.
Deuxièmement, les envois peuvent prendre plusieurs jours, parfois plusieurs semaines.
Certes, ces institutions ont créée des applications qui permettent de réduire les délais d’attentes, mais celles-ci n’apportent pas de solution au deuxième problème majeur.
Problème n°2 : Le coût
Le deuxième problème, et certainement le plus important, c’est que le coût d’envoi des rémittences est très élevé.
Le site bruegel.org estime que le coût moyen d’envoi d’une rémittence est de 10%. Le coût moyen d’un envoi via une banque est encore plus élevé. Pire encore : Les agences telles que Western Union ou Moneygram facturent jusqu’à 33% de frais (selon le montant) pour un envoi, ce qui diminue le montant final que reçoit le destinataire.
Clairement, cela a un énorme impact sur le niveau de vie des habitants des pays qui reçoivent des rémittences.
L’adoption du Bitcoin à El Salvador : Révolution ?
Le 9 septembre, CNBC a publié un article indiquant que Western Union et Moneygram pourraient perdre jusqu’à $400 million par an en frais de rémittences vers El Salvador, selon le président Nayib Bukele.
La Banque mondiale estime que les pertes s’élèveront à $170 millions, mais il n’en reste pas moins que les habitants du pays pourraient économiser des sommes énormes.
Voici comment l’adoption du Bitcoin à El Salvador modernisera l’envoi des rémittences.
Chivo est l’application utilisée pour payer ses achats à l’intérieur du pays.
Par contre, pour recevoir des rémittences, l’application utilisée s’appelle Strike, une application de paiement en crypto fondée à Chicago, aux USA.

L’app était déjà utilisée à El Salvador dans la ville d‘El Zonte, une région expérimentale qu’on nomme « Bitcoin Beach ». Là bas, le BTC est utilisé pour quasiment toutes les transactions, avec grand succès.


La grande force de Strike est qu’elle utilise le réseau du Bitcoin sans forcer les utilisateurs à utiliser Bitcoin l’actif.
Explication du fonctionnement:
- L’utilisateur qui souhaite envoyer de l’argent connecte son compte en banque à l’application Strike.
- Ensuite, il décide d’envoyer $10 à sa famille à El Salvador.
- Strike déduit $10 de son compte bancaire.
- Les $10 de fiat sont convertis en Bitcoin.
- Le Bitcoin est envoyé via le Lightning Network au destinataire.
- Dès réception, Strike reconverti le Bitcoin en USD ou en stablecoin.
- Le destinataire reçoit $10 sur son compte Strike.
Dans cet exemple, l’envoi est instantané et quasiment gratuit.
En effet, le Lightning Network permet de faire des transactions instantanées et presque gratuites. Dans l’exemple ci-dessus, les frais seraient d’environ 0.015%, soit 15 centimes. Même pour des transactions plus importantes, les frais sont très raisonnables (beaucoup plus que Western Union).
Ainsi, Strike permet d’utiliser le réseau Bitcoin sans forcer les utilisateurs à utiliser Bitcoin l’actif.
C’est très important puisque une grande critique portée contre le BTC est sa volatilité : Pourquoi adopter un actif qui fluctue de 5-10% par jour ?
Et bien grâce à Strike, nul besoin d’adopter l’actif : Vous utilisez le réseau du Bitcoin pour effectuer des échanges de pair à pair, instantanément et presque gratuitement. Strike converti les USD en BTC instantanément donc il n’t a pas de perte d’argent liée à la fluctuation du cours du BTC.
C’est là que l’aspect révolutionnaire du BTC peut radicalement améliorer la qualité de vie des individus qui dépendent des rémittences pour vivre.
Strike à El Salvador
Strike est présent à El Salvador depuis Avril 2021 et a atteint la première position des applications les plus téléchargées en seulement trois semaines.
On peut raisonnablement penser que ce système se généralisera puisqu’il que l’envoi de rémittences est quasi instantané, les frais sont faibles, il n’y a pas de limites minimum et elle est compatible avec smartphone.
Puisque la plupart des habitants d’El Salvador n’ont pas de compte en banque, Strike permet aux utilisateurs de détenir des stablecoins indexés au dollar américain dans l’application et de se servir de l’application comme compte en banque. Ils reçoivent des fonds qu’ils peuvent ensuite envoyer aux marchands en guise de règlement.
Grâce aux initiatives comme Bitcoin Beach, il y a beaucoup de moyens de convertir les stablecoins en dollars ou de les dépenser directement.
Note : Vu les controverses qui entourent Tether, les développeurs de Strike ont récemment déclaré qu’ils ont complètement abandonné cette crypto.
Strike est aussi présent aux Philippes, un des plus gros receveurs de rémittences au monde, et est bien positionné pour une expansion internationale.

L’adoption du Bitcoin à El Salvador : Début d’une vague ?
Ainsi, on peut dire ce qu’on veut de la décision d’El Salvador d’adopter le Bitcoin, mais une chose est sûre : son adoption pourrait améliorer la qualité de vie des 70% d’habitants qui dépendent des rémittences pour vivre.
Dante Mossi, le président exécutif de la CABEI, la Banque centrale d’Amérique latine pour l’intégration économique, a déclaré que « tout le monde regarde si cela se passe bien à El Salvador et si, par exemple, le coût des rémittences baisse de façon significative, d’autres pays voudront le même avantage et l’adopteront », dit-il.
Sur ce point, il semble avoir raison.
De nombreux pays réfléchissent à la possibilité d’adopter le Bitcoin comme monnaie officielle :
- Palestine : Les dirigeants étudient la possibilité d’adopter une crypto pour remplacer le shekel israélien.
- L’Ukraine est sur le point de légaliser le Bitcoin.
- Un député panaméen a introduit un projet de loi pour faire du Bitcoin une monnaie officielle.
- En Argentine, un député propose un projet de loi pour autoriser le paiement des salaires en BTC.
El Salvador fait office de laboratoire pour l’adoption du Bitcoin à grande échelle et on peut s’attendre à ce que de nombreux pays fassent pareil dans les années à venir.